Alfred BOUVET (1820-1900)

Alfred BOUVET (1820-1900) est né à Saint-Laurent du Jura, bourg situé dans une région appelée Grandvaux. Son père, Sévère, avait mis sur pied une entreprise de roulage qui transportait vers les ports, comme Dunkerque ou Barcelone, des grumes de sapin. Les armateurs les appréciaient pour en faire des mâts de bateaux, légers, souples et de grandes dimensions (en souvenir de ce commerce, l'ancre de marine a été adoptée comme sigle, dès la fin du 19ème siècle, par la Maison BOUVET pour ses activités industrielles et commerciales).

Commerçant avisé, il chargeait sur ses chariots attelés de 3 à 4 paires de bœufs des fromages de Comté, disposés sur des planches en dessous des sapins. Un comptoir à Paris, rue Neuve Sainte Catherine, lui permettait ainsi d'exercer un double commerce.

Sévère mourut relativement jeune et sa veuve, née Prével, prit la tête de son entreprise.

Alfred, après ses études au lycée Charlemagne de Paris et un emploi chez un banquier de Genève, fut associé à l'entreprise que sa mère avait menée seule pendant 10 ans. Installé avec elle à Paris, il réceptionnait dans la capitale les produits des voituriers comtois dont il faisait un commerce local, et rechargeait leurs chariots avec d'autres marchandises en direction de Dunkerque, Barcelone et Mulhouse.

Parallèlement à ce service de roulage en "petite vitesse", il organisa sur les mêmes parcours des "services rapides" dits "accélérés" au moyen de chevaux fournis de relais en relais par les maîtres de poste.

Survint la construction des chemins de fer. Alfred BOUVET recula ses points de départ et d'arrivée successivement à Tonnerre, Dijon, Dôle, Andelot et finalement Champagnole.

Dès son arrivée à Dôle, il pensa à transformer son activité en commerce de bois. L'idée lui vint de sa longue expérience de la "contre-voiture", née du souci de ne pas laisser repartir des véhicules à vide, après le déchargement, mais de les charger de produits locaux. Après la livraison des marchandises en gare, ses voitures chargeaient des planches de bois. Il fut amené ainsi à acheter les sciages de toutes les scieries, petites et grandes, des régions de Champagnole, Pontarlier et Morteau. Puis il acheta bientôt 32 services franc-comtois de diligences jusqu'à Nantua et Pont d'Ain, avec un cheptel de 300 chevaux. C'est dans ces services de transport de voyageurs que se situe la fameuse anecdote des recommandations du cocher aux personnes qu'il transportait. La scène se passe au bas de la montée vers le col de la Faucille. Après un temps de petit trot dans la plaine du Pays de Gex, la diligence s'arrête. Et le cocher de vociférer : "Les voyageurs de 1ère classe restent en voiture. Les 2ème classe descendent de voiture, et les 3ème classe descendent et poussent la voiture...". Autre temps, autres mœurs.

En 1890, Alfred BOUVET créa les Salines de Poligny, puis vers 1893, la fabrique de chaux et ciments de Champagnole. L'affaire dut démarrer lentement, car l'on rapporte qu'Alfred BOUVET déclara peu avant sa mort que c'était la seule mauvaise affaire qu'il ait faite dans sa vie... En réalité, elle prospéra pendant 3 générations.

Zoé DumontParallèlement à la gestion de ses multiples entreprises, Alfred BOUVET eut le souci de la chose publique. Maire de Salins, président du tribunal de commerce de cette ville, après avoir tenté vainement d'être député, puis sénateur, il fut, à part une interruption de 6 ans, conseiller général de 1874 à 1898. On lui doit aussi la fondation du syndicat agricole de Poligny, la création de la société de Crédit Mutuel dont le siège fut fixé à Salins. Le principe de base de cette oeuvre d'aide aux agriculteurs fut consacré par une loi qui permit au Crédit Mutuel de devenir le Crédit Agricole.

Son naturel liant et aimable le mit en relation avec COURBET qui avait des amitiés salinoises dans les personnes de Max CLAUDET, artiste, et Arthur LIGIER, docteur es lettres, qui fut préfet du Jura.

Alfred BOUVET commanda à COURBET les portraits de sa femme et de sa fille Béatrice ainsi que deux paysages, le fort de Joux et le gour de Conches. Seul le portrait d'Esther BILLET, sa deuxième épouse, reste dans la famille. Celui de Béatrice est au musée de Cardiff, les deux paysages au musée de Besançon.

Les relations entre COURBET et Alfred BOUVET furent sans doute correctes. Mais le premier, très engagé politiquement, ne dut pas apprécier outre mesure un commanditaire qui avait une politique moins rectiligne. On n'en veut pour preuve que la lecture à double niveau des deux paysages (un peu à la façon d'un dessin à devinettes) et la réputation d'Alfred BOUVET qui eut à souffrir de quelques libelles dénonçant ouvertement son opportunisme.

Outre deux filles disparues prématurément, il eut trois enfants. L'un de Zoé DUMONT, sa première femme morte fort jeune, Maurice, qui prit sa suite dans l'entreprise. Deux filles de sa seconde épouse, Esther BILLET. Béatrice qui épousa Pierre PUISEUX, de l'Institut, et Marguerite, femme de Paul CHANTRE, polytechnicien et colonel d'artillerie.

Ester BilletIl mourut à 80 ans, à Salins. On raconte que, pour que son agonie ne soit pas perturbée, sa domesticité avait répandu sur les deux trottoirs de la rue de la République, devant le 75, une épaisse couche de paille.

Son fils Maurice (1855-1935), d'abord son associé, puis son successeur, était né à Dole. Sujet brillant, après d'excellentes études au collège de Salins, il entra premier à l'Ecole Forestière de Nancy, dont il sortit major.

D'abord nommé garde général à Saint-Hippolyte, il fut envoyé en mission en Italie, puis démissionna peu après pour travailler avec son père en 1879.

Prenant conscience des difficultés du commerce du bois tel qu'il avait été pratiqué par son père et son grand-père, il imagina d'orienter la "maison" vers d'autres activités plus industrielles, telles que l'injection conservatrice des traverses de chemin de fer et des poteaux télégraphiques. Il géra, pendant 3 ans, une grande exploitation forestière dans le sud de la Russie et fonda à Odessa un comptoir d'achat de traverses de chemin de fer et de bois de tonnellerie, avec dépots de vente à Sète et Bordeaux, puis Alger et Oran. La maison BOUVET compta alors jusqu'à 15 succursales.

En 1919, Maurice BOUVET s'associa son fils Michel, ancien élève de l'Institut Agronomique et deux de ses gendres, Jean et Pierre PONSAR. Le premier était polytechnicien, le second garde général des Eaux et Forêts. L'entreprise s'intitula dès lors BOUVET-PONSAR et Cie.
La maison Bouvet - origines par Maurice Bouvet

Comme son père, Maurice BOUVET s'intéressa au monde politique. Après deux essais infructueux en 1910 et 1914, il fut élu député en 1919, alors qu'il était déjà conseiller général, ayant succédé à son père dans cette fonction.

Il avait épousé Blanche BURIN du BUISSON, appartenant à une vieille famille de Basse Auvergne, dont il eut 7 enfants. Son fils aîné, Alfred, qui avait hérité de ses qualités de coeur, mourut à 16 ans. Ce fut une épreuve très lourde à porter pour lui et pour tous les siens.

Un peu moins de 3 ans après son épouse, Maurice BOUVET décéda à Salins à 80 ans comme son père, n'ayant jamais abandonné complètement son activité.